2023
Extrait du catalogue de l'exposition « De la poussière à la lumière bleue » présenté à Mains d'Œuvres, Saint-Ouen-sur-Seine.

Textes et commissariat assurés par Maria Claudia Gamboa & Violette Morisseau.

Dans son travail photographique et cartographique, Antoine Leroy s’intéresse à la notion de paysage dans ce qu’elle a de fictionnel et d’artificiel. À travers ses œuvres, il cherche à révéler les automatismes culturels et historiques qui déterminent notre perception de l’espace naturel. Dépendant des principes établis par la perspective, le paysage est une invention dont une des fonctions serait de « réassurer en permanence les cadres de la perception du temps et de l’espace [1] ». L’artiste s’empare notamment du concept d’horizon, notion phénoménologique et structurelle liée à la perception humaine, désignant dans le langage courant la limite du champ visuel et plus précisément celle du paysage.

Pour sa série de photographies horizon-contact, Antoine crée de toutes pièces divers environnements, grâce au procédé photographique du tirage par solarisation. Le papier est immergé quelques instants dans du liquide de développement, tandis que la chambre est vivement illuminée. Ce processus laisse sur le papier une empreinte aquatique ondulée qui évoque un océan s’étendant à perte de vue, sous un soleil de plomb. Il en ressort des paysages hors du monde, obtenus grâce à une réaction chimique, qui contiennent cependant tous les codes culturels permettant de les identifier comme tels. Ces marines artificielles sont décontextualisées, en rupture avec le territoire. Pourtant l’horizon s’y dessine, telle une apparition : « comme une frontière mobile entre le ciel et la terre, entre un ensemble fini et une ouverture illimitée, entre l’espace du sujet et le monde extérieur, le visible et l’invisible
[2] ».

Selon la philosophe Anne Cauquelin, tout paysage est une construction collective, où chaque forme contient en elle-même les images « pliées » de formes plus anciennes. La philosophe nous engage alors à « déployer les implicites » que renferme le paysage, ses mémoires enfouies et ses parties d’invisibles.

Avec sa série Silence, Antoine revient sur les terres de son enfance, dans la Forêt Domaniale de Monts, qu’il arpente de manière systématique. Il se concentre sur les zones inondables de ces bois, situées en dessous du niveau de la mer, qu’il cartographie avant de les photographier. Ces espaces, autrefois sous-marins, sont voués à le redevenir sous la menace de la montée des eaux. L’artiste documente cet état de latence entre deux immersions, manipulant les points de vue et la colorimétrie de ses images, de manière à troubler notre perception topographique des lieux. En effet, ceux-ci nous apparaissent tels des paysages aquatiques, sauvages et submergés, en dehors du temps et du monde. Ces photographies, où s’entremêlent différentes temporalités, proposent une narration anticipatoire et forment ensemble des archives futures. En les exposant selon une ligne plongeante, les unes en dessous des autres, Antoine Leroy bouscule nos automatismes perceptifs et nous entraîne dans une expérience de la profondeur. 

Maria Claudia Gamboa & Violette Morisseau.



[1] Anne Cauquelin, L’invention du paysage. Paris, PUF, 2000
[2] Michel Collot, L’horizon comme structure anthropologique de la perception humaine, Fabula, 2018

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